l'unissonnance des vagues

Pour pénétrer dans ce lieu sauvage perdu aux confins de la Camargue, il faut être muni d’une carte magnétique, triste antagonisme que l’on oublie aussitôt la barrière ouverte.

L’aventure commence par quelques kilomètres de piste sur les digues qui quadrillent les marais salants. Les oiseaux de mer, mouettes, aigrettes, cygnes, flamands, hérons, hirondelles de mer….

Pour pénétrer dans ce lieu sauvage perdu aux confins de la Camargue, il faut être muni d’une carte magnétique, triste antagonisme que l’on oublie aussitôt la barrière ouverte.

L’aventure commence par quelques kilomètres de piste sur les digues qui quadrillent les marais salants. Les oiseaux de mer, mouettes, aigrettes, cygnes, flamands, hérons, hirondelles de mer…. en multitudes de taches blanches, pullulent. Lorsque nous passons à côté d’eux, sans arrêter notre véhicule, ils se contentent - pudiques - de nous tourner le dos ; si nous nous arrêtons, ils s’envolent. Les flamands roses, les plus spectaculaires dans cet exercice aérien, emportent sous leurs ailes une palette de roses tendres et vifs qui illumine la grisaille environnante – ce gris, qu’enfant je n’aimais pas car synonyme de tristesse mais qui à mes yeux d’adulte, symbolise sérénité et beauté. Ce gris, est aujourd’hui fortement teinté d’un camaïeu de vert, la Camargue, en ce début de printemps - sous l’effet d’une pluie généreuse - est comme « lustrée » et semble renaître. Nous traversons un pont en planches puis frôlons un essaim de blockhaus, vestiges délabrés mais encore debout de la dernière guerre mondiale. Au loin, à demi-masquée par une ligne de dunes, apparaît une plage morcelée de digues aux flancs noirs, immense. Encore un petit effort - un nouveau un pont en planches, une pompe à eau hors d’usage qui servait à inonder les marais pour y récolter le sel - et nous y voilà. Une dizaine de bateaux de pêche se présentent à nous, amarrés à un port aussi minuscule que désert, nous le longeons pour aller garer notre véhicule à son extrémité. La mer est déchaînée, malgré la digue derrière laquelle nous marchons, des éclats de vagues viennent de temps à autre nous éclabousser. Une chaise en fer est posée en équilibre en bout de jetée, une photo, deux photos, nous posons chacun notre tour, puis commençons notre ballade à pied. Cette plage nous est inconnue, la découvrir pour la première fois est une sensation difficilement descriptible, quelque chose touchant à « la chasse au trésor », à la piraterie, aux pilleurs d’épaves, à l’aventure, à l’enfance, aux territoires vierges d’humain. Là, seule la trace de nos pas témoigne de notre passage, de notre existence, nous sommes les seuls, les premiers à fouler ce sable qu’à chaque passage la mer rebaptise. Le paysage est à la hauteur de nos espérances, une plage immense, immensément vide, une plage qui s’enfonce loin dans les dunes, séparée en deux par une non moins immense étendue d’eau que les vagues viennent alimenter comme autant de sources - un espace originel, épique, d’avant la création. En silence, nous avançons en nous penchant souvent sans être prédéterminés dans nos choix : certains bois flottés alourdissent nos sacs, d’autres pas. Leurs volumes, leurs volutes, la calligraphie de leurs écorces vermiculées ? Qu’importe ce qui nous interpelle en eux, nous glanons, avec à la fois mille idées en tête et le cerveau vide d’intentions, comme si l’unissonnance des vagues effaçait toute velléité de concentration. Ici, il n’est loisible que de lâcher bride, laisser ses pensées aller, vagabonder, flotter au gré du vent et des courants marins, grains de sables, grains de poussières, goutte d’eau salée, philosophie, poésie… face à la mer, l’unicité et la fragilité de notre condition humaine est prégnante, induits en sont les effets, les ressentir ne peux que rendre humble. Chemin faisant, nous rencontrons de grands arbres couchés, imposants, d’énormes troncs aux branches qui n’ont rien perdues de leurs majestés, certains à demi ensevelis dans le sable, d’autres, tels des squelettes d’animaux préhistoriques, échoués sur les digues. C’est le paradis des glaneurs ici, de nombreux bois flottés de petites et moyennes tailles, très ouvragés, s’offrent à nous, ainsi que d’autres matériaux bruts de mer : de la ferraille rougie par la rouille, des bouchons de liège devenus poreux, un antique flotteur incrusté de minuscules coquillages, un billot évidé, de la corde, un galet aux oranges fulgurants, et même une pancarte érodée que nous transportons avec son pilier incrusté de coquillages, de dunes en dunes, pour la déposer avec nos sacs sur le bord de la piste, avant de poursuivre, allégés, notre quête. Quelques minutes plus tard, la plage s’efface pour laisser place à une longue digue où il est inutile de chercher les bois. Sertis dans les blocs de rochers constamment douchés par les vagues, il est impossible de les retirer. Nous n’insistons pas et rebroussons chemin. Après avoir récupéré notre véhicule et rejoint notre lieu de stockage pour y charger notre précieuse récolte, nous décidons de changer de lieu. Destination : L’extrémité Est de la plage. Pour l’atteindre, quelques kilomètres de pistes dans les marais salants sont nécessaires. Rouler ainsi, au milieu de cet espace désertique est l’antithèse par excellence des autoroutes, agréable et reposant. Un phare bleu et blanc droit face à la mer, haut comme une montagne dans cet univers plat, cerbère du lieu, semble à lui seul incarner à la fois la fierté d’être debout dans l’adversité et le sentiment d’abandon. Des éclairs blancs par intermittentes jaillissent de son sommet de verre, les volets sont clos, la cour déserte, les dépendances aussi, plus personne n’habite en ce lieu oublié de tous, mais… qui pouvait donc vivre là ? Plus loin, sur notre passage, les flamands roses se montrent toujours aussi timides, se bornant à nous tourner le dos. Par jeu, je fais mine de m’arrêter, ils décollent alors et nous accompagnent sur quelques mètres pour un spectacle de toute beauté avant de s’éloigner définitivement. Nous roulons ainsi sans croiser âme qui vive pendant un quart d’heure jusqu’à ce que deux blocs de pierre barrent la piste et nous force à nous arrêter. Le marais s’est teinté de rose, de rouge sang par endroits ; ce qui subsiste d’un fortin moyenâgeux, une tour étêtée, quelques pans de murs en ruine, nous contemple. Nous faisons quelques pas pour grimper sur la digue qui nous sépare de la mer, la colère des flots nous surprend, la houle s’est amplifiée, un vert sombre, inquiétant a remplacé le bleu pâle ; elle paraît plus puissante, furieuse, ses coups contre les alignements de rocs sont plus lourds, plus profonds, la mer boxe, pugnace, combat sans relâche pour gagner de l’espace, envahir, s’étendre, et ne recule que pour mieux frapper, inépuisable, obstinée. Nos yeux, un instant se portent sur la gauche et oublient tout, éblouis, buvant littéralement ce qu’ils voient : Une plage inconnue, infinie, à perte de vue s’étend comme une page blanche, un nouveau monde a explorer. Le vent siffle à nos oreilles tandis que le froid s’infiltre sous nos vêtements - même si l’espoir est mince d’avoir à nouveau l’occasion de revenir sur ce site merveilleux - nous décidons d’un commun accord de rentrer.

Pour quitter cet endroit sauvage, cette plage privée perdue au fin fond de la Camargue, nul besoin de carte magnétique, la barrière se lève seule dès le museau pointé des véhicules ; malgré nos vœux pieux de ramener un nombre limité de pièces de bois flottés, l’arrière du C15 est encombré de trésors, de petits et grands fragments que nous emportons vers une autre destinée, à l’abri de la destruction, pour notre seul plaisir.

A Flots perdus

Site : http://www.bois-flottes.com

Lexique :
Définition d’a flot perdu, Encyclopédie Larousse 1900 : Bois jeté dans un courant pour en abandonner le transport au cours de la rivière.

Bois canard : Celui qui, jeté à flot perdu, est submergé

Bois échaudé, pouilleux ou malandre : Celui qui commence à pourrir

Bois vermiculé, mouliné : Rongé par les vers

Bois volant : Celui qui vient par le flot droit au port

Bois brouté : Celui qui est tordu.

Bois gisant : Arbre renversé

Le bois flotté peut être aussi déversé, gauchi, contourné par l’effet de l’humidité ou de la chaleur.

Article proposé par: Visiteur et validé par: Webmaster le Lundi 05 mai 2008 @ 10:10:24 Précédent |  Suivant

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