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AuteurEntre camargue et côte d'azur - A Flots perdus - bois flotté
Anonyme
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Anonyme
  Posté : 03-12-2006 22:03

A Flots perdus – Marcher dans le pas des glaneurs.
Bois flottés.
Camargue, octobre 2006, 10h30mn : A gauche le canal, à droite les marais ; cahotés par la digue à peine praticable, nous sommes stoppés à 1 kilomètre de la mer. L'eau, poussée par le mistral, a creusé un chenal qu'il est impossible de traverser en voiture. Chargés de sac à dos, nous nous déchaussons et marchons sur le bord du marais, mouillant nos genoux, pour traverser l'obstacle liquide. Ici, c'est "Terra Incognita", une indicible angoisse se mêle à notre enthousiasme - sensation d'être des enfants face à l'inconnu - ce lieu, sous ses aspects merveilleux est rude pour le "vivant" car lors des "coups de mer hivernaux", les vagues enjambent allègrement les digues pour déferler sur la terre craquelée, poussant et traînant avec elles, en elles, d'énormes bois flottés que l'on trouve parfois à des centaines de mètres du rivage, esseulés. Le sac et le ressac rythment notre marche, de longues plages de sable fin s'intercalent entre des sites protégés par les épis de pierres où la végétation vient prendre racine dans la mer. Notre but, atteindre l'embouchure du petit Rhône quelques 5 km plus loin puis, revenir sur nos pas et convertir la ballade en quête. Un abri, une grande cabane construite de troncs de bois flottés empilés nous accueille pendant que les oiseaux de mer - seuls êtres rencontrés - survolent nos têtes balayées par le vent. Quelques minutes de repos puis, goût du café sur les lèvres, nous poursuivons notre balade. Les bois flottés sont légions - l'embouchure est proche - un véritable cimetière de "petits et grands voyageurs échoués". Les brindilles amoncelées tiennent compagnie à des troncs de plus de 20 mètres de long ; ces squelettes d'arbres - témoins de la puissance et de la violence des éléments naturels - parfois couchés sur les digues, parfois dressés face à la mer, semblent guetter quelque chose au loin qu'humains nous ne verrons jamais.
Terminus. Amarré de l'autre côté du fleuve, un bateau à aubes style "Mississipo-Camarguais", le Tiky, se dessine en premier plan des Saintes Maries de la mer. Enfin parvenus à la source de notre "désir de création", au coeur du système naturel qui consiste à voir les arbres descendre les fleuves puis s'échouer sur le sable pour être ensevelis et consolider les dunes, nous décidons de faire une courte halte. Requinqués par nos sandwichs saupoudrés de grains de sables, nous reprenons notre marche et, chemin faisant, glanons quelques pièces qui nous inspirent pour l'élaboration de nos futures sculptures ou nous attirent simplement par leur beauté intrinsèque. Au fur et a mesure, les sacs se font lourds et le sable bien plus mol qu'à l'aller ; cependant, nous marchons inlassablement, les yeux rivés au sol, zigzagant entre les amas de bois, se baissant des dizaines de fois, émerveillés de chaque découverte, presque oubliant le vent qui redouble de violence et le déclin du soleil.
Dernière halte, le sommet de la digue nous accueille. Dernier regard au bleu de la mer dont la courbe envahie l'horizon, à ses milliards de mètres cubes assoupis, au corps de cette "chose" informe d'une infinie puissance que nul ne peut entraver. Quelques minutes de pure contemplation passent, le temps de se poser des questions poétique "...Si la mer est le berceau de l'humanité et les vagues le mouvement de va et vient du balancier, qui berce la mer ?" ...le froid nous gagne, il faut rentrer. De nouveau nos pieds nus pénètrent dans l'eau, deux ombres longues nous précèdent sur les derniers mètres de marche, et le soleil, boule orange, semble attirer à lui le marais qui se soulève. Notre véhicule est toujours là, nous déposons notre précieuse cargaison dans le coffre avant de nous engouffrer dans l'habitacle, échevelés de sable et frissonnant. Nos oreilles bourdonnent, c'est comme saoul que nous prenons le chemin du retour éclairé par les phares pour retourner sur Arles.
Verres dépolis.
Côte d'azur, novembre 2006, 13h. L'air iodé nous saute aux narines, dans cette crique aux fonds marins bleu profond cernée de rochers déchiquetés, le sable est rare, le galet roi et les vagues émettent un doux bruit de concassage. Contrairement aux bois flottés, pour glaner les verres dépolis la marche est peu utile, il faut savoir s'arrêter et longuement fouiller "les yeux dans les galets" pour les trouver. Dans l'eau, ils brillent de milles feux mais le sac et le ressac les balaient avant qu'on puisse les saisir ; sur le rivage, suivant leur teinte et la position du soleil, vous pouvez chercher de longues minutes sans en trouver un seul. Les nuances de teinte sont multiples, malgré ce, on peut les classer en 4 grands ensembles : Les "teintés vert", les plus communs et aussi les plus facile à repérer car leur couleur se détache facilement de celle des galets ; ensuite viennent les "teintés blanc", moins visibles car transparents mais relativement nombreux, puis ce sont les "teintés oranges/jaunes" qui eux sont plus rares et se confondent avec les galets, et enfin les "Violets et Rouges" rarissimes, et donc, par nous, les plus recherchés. Lorsqu'il nous arrive de dénicher un "violet" ou un "rouge"», à l'instar de l'orpailleur découvrant une pépite, nous nous sentons riches et comblé par le destin. A ce jeu de patience et d'attention soutenue, nous pouvons passer des heures dans notre bulle et tout oublier des contingences de la vie, concentrés, ignorant les flâneurs dont les enfants parfois viennent nous demander "Vous ramassez quoi ?" puis, une fois renseignés, courent réclamer un sac à leurs parents pour faire de même. Au fur et à mesure que l'après-midi avance, nos poches s'alourdissent et ce n'est que le soir venu - quand il est devenu impossible de distinguer les galets des verres dépolis - que nous rentrons pour les trier par teinte et par taille (les plus petits peuvent avoir la grosseur d'une tête d'épingle). Les nuits qui suivent nos cueillettes, dès l'instant ou nous fermons les yeux, viennent s'imprimer derrière nos rétines l'image de perles de verres sur des lits de galets.
Sculptures fonctionnelles en bois flottés et verres dépolis.
Une fois la récolte terminée, dans le secret de notre atelier, nous marions ces bois flottés en respectant leurs formes initiales et sertissons dans leurs interstices des verres dépolis et autres "rendus de la mer" (fer, coquillage, os…) pour les métamorphoser en pièces uniques, sincères et sereines. Composées uniquement de matériaux voués à disparaître et, de par leur statut d'objet fonctionnel, nos créations ont une empreinte écologique faible et inscrivent notre démarche artistique dans la thématique du développement durable.
A Flots perdus 2006

  
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